Designs trompeurs

Un réseau social distrayant, ça trompe énormément ?

Le 14 février 2023, le Comité européen de la Protection des Données[1] a adopté trois nouvelles lignes directrices, dont l’une vise à éviter l’utilisation de « designs trompeurs » sur les réseaux sociaux[2].

Le sujet vous intéresse, mais vous n’êtes pas certain d’avoir compris l’essentiel de ces 74 pages disponibles, pour l’heure, exclusivement en anglais ? RGPD-Experts a analysé pour vous les points majeurs à retenir de ces lignes directrices !

Ces préconisations ne s’arrêtent pas aux seuls réseaux sociaux, et sont bien évidemment transposables à toutes les autres plateformes (site Internet, applications mobiles, etc.).

Les « designs trompeurs » : késako ?

Le CEPD entend par l’expression « designs trompeurs » les techniques de conception d’une interface ayant pour objet ou pour effet d’influencer le comportement d’un utilisateur. Plus généralement, il s’agit de tous les procédés susceptibles d’inciter l’internaute à prendre des décisions non désirées ou inconscientes à son détriment – ou en faveur du réseau social – concernant la protection de ses données personnelles.

Ces méthodes sont multiples, et empêchent les internautes d’être véritablement acteurs de la protection de leurs données personnelles.

Les « designs trompeurs » : comment les reconnaître ?

Sans le savoir, nous sommes confrontés en permanence à ces designs pourtant prohibés. Le CEPD les classe selon différentes catégories :

  • Selon leurs effets sur le comportement de l’utilisateur : surcharge d’informations, utilisation des émotions, obstruction, maintien des personnes concernées dans une incertitude sur les pratiques du réseau et sur leurs droits en matière de protection des données, etc.
  • Selon leurs types : certains designs sont trompeurs dans leur contenu (formulation de phrase équivoque, déclarations, sorties de leur contexte, etc.), d’autres le sont dans leur forme (couleurs de l’interface, typographie, etc.).

EXEMPLE DE DESIGNS TROMPEURS

Effets sur les comportement de l’utilisateurMoyen trompeur utilisé par le responsable de traitementTypes de designs trompeursExemples
EFFET DE « SURCHARGE » : Les internautes sont noyés sous une avalanche d’informations afin de les inciter à partager davantage de données ou à autoriser sans le vouloir plus d’opérations de traitement sur leurs données. L’incitation en continu : elle consiste à pousser l’internaute à céder aux demandes du réseau en lui répétant de donner plus de données ou à consentir à l’utilisation de ses données à des fins particulières.Contenu trompeurL’apparition permanente de « pop-up » en ce sens pendant la lecture d’un article.
EFFET DE « SURCHARGE » : Les internautes sont noyés sous une avalanche d’informations afin de les inciter à partager davantage de données ou à autoriser sans le vouloir plus d’opérations de traitement sur leurs données.L’excès d’options : le responsable de traitement offre tellement de possibilités à la personne concernée pour configurer ses préférences / faire ses choix pour gérer ses données que celle-ci finit par abandonner sa démarche.Contenu trompeurNe pas proposer un bouton « tout refuser » lorsque l’utilisateur doit choisir pour quelles finalités il accepte ou non le dépôt de cookies sur son terminal. Las de devoir décocher les consentements donnés par défaut, finalité par finalité, celui-ci pourrait être tenté de finalement accepter la présélection faite pour gagner du temps.
EFFET DE « SURCHARGE » : Les internautes sont noyés sous une avalanche d’informations afin de les inciter à partager davantage de données ou à autoriser sans le vouloir plus d’opérations de traitement sur leurs données.Le labyrinthe : l’internaute peine à obtenir une information / faire une action, car il est contraint de passer par de nombreuses étapes pour y arriver, sans disposer d’une vision globale du schéma qu’il doit suivre pour y parvenir.Interface trompeuseSelon les droits qu’il veut exercer, l’internaute trouve les informations pertinentes à ce sujet dans la « foire aux questions » du site, puis sur son compte personnel, lesquels renvoient ensuite selon les cas à la politique de protection des données ou à un formulaire spécifique.
EFFET « INCITATEUR » : ce procédé affecte les choix des utilisateurs en jouant sur leurs émotions ou via des suggestions visuelles.Le « pilotage » émotionnel : des éléments visuels (couleurs, images, style) sont utilisés pour rendre positives certaines actions de l’internaute pourtant préjudiciables ou, à l’inverse, lui faire peur / le culpabiliser à tort pour l’encourager à agir dans le sens voulu par l’organisme.Contenu trompeurUn réseau social propose à l’internaute de partager sa localisation sous ces termes : « Hey toi ! Tu te sens seul aujourd’hui ? Envie de voir du monde ? Partage ta localisation et regarde si tes amis sont à proximité ! »
EFFET « INCITATEUR » : ce procédé affecte les choix des utilisateurs en jouant sur leurs émotions ou via des suggestions visuelles.La dissimulation de renseignements « à la vue de tous » : les informations sont bien communiquées, mais en réalité cachées aux utilisateurs grâce à diverses méthodes.Interface trompeuseLe lien permettant d’accéder à la politique de protection des données de l’organisme est accessible via un lien écrit en tout petit, de couleur jaune pâle sur une page de fond blanc.
EFFET « D’OBSTRUCTION » : cette technique vise à empêcher ou bloquer les informations/actions des internautes pour conserver la maitrise de leurs données.Les longueurs excessives : le responsable de traitement impose à l’utilisateur un nombre important et inutile d’étapes pour activer certaines options, ou détaille inutilement certaines informations pour l’embrouiller.Interface trompeuseUn individu tente de se désabonner d’une newsletter. Afin de valider sa demande, l’organisme lui demande : 1) De cliquer sur un 1er lien, 2) Puis de renseigner son adresse mail, 3) De confirmer après son souhait grâce au courriel envoyé, 4) D’indiquer pourquoi il souhaite se désabonner, 5) D’évaluer enfin le service/commerçant
EFFET « D’OBSTRUCTION » : cette technique vise à empêcher ou bloquer les informations/actions des internautes pour conserver la maitrise de leurs données.Les actes trompeurs : la divergence entre l’information donnée et l’acte pour y parvenir est susceptible de duper l’utilisateur.Interface trompeuseLors de la validation d’une commande sur Internet, le client a été conduit sans le savoir vers un site d’épargne en ligne de type Paypal, Lydia, etc. Pensant remplir un formulaire permettant la livraison de son achat, il est en réalité en train d’ouvrir un compte sur ces applications bancaires.
EFFET « D’OBSTRUCTION » : cette technique vise à empêcher ou bloquer les informations/actions des internautes pour conserver la maitrise de leurs données.Les impasses : les utilisateurs ne peuvent techniquement pas finaliser leurs actions Interface trompeuseLorsque l’internaute clique sur le lien destiné à retirer le consentement qu’il avait initialement donné à l’utilisation de ses données, il est redirigé vers une page inexistante.
EFFET « DE CONFUSION » : l’information est donnée ou l’interface organisée de telle façon que les utilisateurs ne peuvent pas comprendre les pratiques du réseau social en matière de protection des données ou les modalités d’exercice de leurs droits.Les informations contradictoiresContenu trompeurIl est indiqué tour à tour à l’internaute d’exercer ses droits directement auprès du Délégué à la protection des données, puis auprès d’une personne référente ayant d’autres coordonnées.
EFFET « DE CONFUSION » : l’information est donnée ou l’interface organisée de telle façon que les utilisateurs ne peuvent pas comprendre les pratiques du réseau social en matière de protection des données ou les modalités d’exercice de leurs droits.Les formulations ambiguësContenu trompeurLa politique de protection des données de l’organisme mentionne : « Nous utilisons vos données pour nous permettre de poursuivre nos différentes activités. Nous ne les conservons pas plus que le temps strictement nécessaire à cela ». Ces termes vagues et génériques ne permettent pas à l’internaute de comprendre l’utilisation réellement faite de ses données.
EFFET « D’INSTABILITÉ » : la conception de la plateforme est désorganisée et ne permet pas aux internautes d’utiliser correctement les outils lui permettant de gérer la protection de leurs données personnelles.Les « ruptures » de langage Contenu trompeurAlors que toute l’application est en français, la politique de protection des données de l’organisme est en anglais.
EFFET « D’INSTABILITÉ » : la conception de la plateforme est désorganisée et ne permet pas aux internautes d’utiliser correctement les outils lui permettant de gérer la protection de leurs données personnelles.Les interfaces incohérentes : la présentation de l’application ou du site n’est pas conforme aux attentes raisonnables de l’utilisateur, ce qui est source de confusion.Contenu et interface trompeur Les options de l’internaute pour configurer ses données sont toujours présentées de la moins protectrice à la plus protectrice, sauf à la dernière question. Dans ces conditions, le dernier choix de l’utilisateur pourrait être faussé s’il répond par réflexe selon la même logique que celle appliquée jusqu’alors.
EFFET « D’INSTABILITÉ » : la conception de la plateforme est désorganisée et ne permet pas aux internautes d’utiliser correctement les outils lui permettant de gérer la protection de leurs données personnelles.Les décontextualisations : l’information cherchée par l’internaute ne peut pas être trouvée dans un endroit intuitif pour lui. Interface trompeuseLes options de configuration des préférences de l’internaute en matière de protection des données sont accessibles dans la section « mes éléments », ce que l’intitulé ne permet pas de deviner.
EFFET DE « DISTRACTION » : le site ou l’application est conçue de telle manière que les utilisateurs vont oublier / ne pas penser aux questions liées à la protection de leurs données personnelles. Le détournement d’attention : il s’agit de mettre en concurrence les informations relatives à la protection des données avec d’autres informations, afin de dévier l’internaute de ces questions.Interface trompeuseUne bannière affiche la politique du réseau social en matière de cookies ainsi : « Nous avons créé pour vous la recette des meilleurs cookies jamais cuisinés. Pour connaître les ingrédients, cliquez sur ce lien : « xxx ». Notre site utilise lui aussi des cookies. Si vous voulez en savoir plus, cliquez ici : « yyy ». »
EFFET DE « DISTRACTION » : le site ou l’application est conçue de telle manière que les utilisateurs vont oublier / ne pas penser aux questions liées à la protection de leurs données personnelles.Les suggestions trompeuses : ces procédés visent à instaurer une divergence entre ce que l’utilisateur veut et ce qu’il peut obtenir, afin de le décourager dans ses actions.Interface trompeuseDemander à l’utilisateur s’il veut rendre son profil : – Confidentiel – Accessible à ses amis seulement ; – Ou public ; Tout en pré cochant et mettant en évidence l’option la plus défavorable pour la protection de ses données personnelles., à savoir « public ».

Les « designs trompeurs » : pourquoi les éviter ?

Ces « designs trompeurs » violent plusieurs dispositions fondamentales du RGPD, et notamment :

  • Le principe de loyauté (art. 5(1)(a) du RGPD) : les responsables de traitement ne doivent pas traiter les données personnelles d’une manière inattendue, préjudiciable, fallacieuse ou discriminatoire pour les personnes concernées.
  • Le principe de minimisation des données (art. 5(1)(b) RGPD) : les responsables de traitement ne peuvent pas collecter autant d’informations sur les internautes qu’ils ne le veulent. Ils sont tenus de limiter le recueil de ces renseignements aux seules données personnelles adéquates et pertinentes au regard des objectifs poursuivis par la collecte de ces données.
  • Le principe de transparence (art. 5(1)(a) & 12 RGPD): les informations relatives aux pratiques et règles applicables en matière de protection des données personnelles doivent être formulées de façon concise, intelligible et facilement accessible pour les personnes concernées.
  • Les règles relatives à la gestion du consentement (art. 4 & 7 RGPD) : lorsque la base légale justifiant le traitement de données est celle du consentement de l’internaute, le responsable de traitement doit mettre en œuvre les mesures appropriées pour s’assurer que le consentement de ce dernier a été donné par un acte positif clair, et qu’il remplit certaines conditions de validité (consentement libre, spécifique, éclairé et univoque). Il appartient également au responsable de traitement de prévoir des dispositifs permettant à l’utilisateur de revenir aisément et à tout moment sur son accord initial.
  • Les règles relatives aux droits des personnes concernées (art. 12 à 23 RGPD) : le responsable de traitement est non seulement tenu d’informer les internautes des droits dont ils disposent sur leurs données personnelles, mais il doit aussi leur permettre de les exercer sans obstacle (droit d’être informé, droit d’accès, de rectification, à l’effacement de leurs données, etc.).

Le CEPD insiste sur le fait que ces règles doivent être respectées durant toute l’expérience de l’utilisateur sur la plateforme, de la création de son compte personnel sur le réseau social à sa clôture, en passant par la configuration ultérieure de son profil et l’exercice de ses droits.

Les responsables de traitement des pages Web et applications non conformes engagent donc leur responsabilité s’ils recourent à ce type de présentations insidieuses.

ATTENTION : au-delà du RGPD, ces « designs trompeurs » peuvent violer d’autres législations, notamment issues du droit de la consommation

Les « designs trompeurs » : comment les bannir ?

Ces dérives sont répandues, sans que cela ne soit nécessairement voulu par les responsables de traitement.

Nous vous rappelons que le RGPD les oblige pourtant à respecter le principe cardinal du « privacy by design and by default », c’est-à-dire de développer leur plateforme de telle manière qu’elle soit protectrice des données personnelles de leurs utilisateurs dans leur conception même, sans que l’internaute n’ait besoin de configurer l’interface en ce sens.

Cette règle est particulièrement vraie lorsque le site ou l’application vise un public de personnes vulnérables à cet égard (enfants, personnes âgées, etc.).

Pour éviter ces écueils, il convient d’avoir à l’esprit quelques bonnes pratiques. Nous vous recommandons notamment :

– De prévoir plusieurs niveaux d’information (des renseignements « de base » aux plus approfondis), et d’utiliser des raccourcis / liens afin de rediriger les utilisateurs directement vers les informations qu’ils recherchent.

– De rédiger vos informations avec des termes clairs et reflétant la réalité de votre activité (politique de protection des données, politique de cookies, etc.).
Hiérarchisez vos propos et définissez les mots que vous employez. Utilisez des exemples pour expliquer vos pratiques, la façon dont les internautes peuvent gérer leurs données ou exercer leurs droits. Expliquez-leur aussi les conséquences de leurs actions. Bref : rendez la lecture de ces documents le plus facile et agréable possible !

– De concentrer en un seul endroit les options ouvertes aux utilisateurs pour gérer leurs préférences en matière de protection des données personnelles, et de les désigner avec des intitulés évidents (gestion du consentement, exercice des droits, etc.).

– D’utiliser un code couleur ou une typologie permettant aux internautes de distinguer clairement les éléments relatifs à la protection de leurs données personnelles des autres sujets.

– De mettre en évidence une seule et unique personne de contact à qui les internautes peuvent adresser leurs questions en matière de protection des données personnelles. – De notifier les internautes de tout changement de votre politique de protection de données.

– Si vous permettez à vos utilisateurs d’utiliser vos services via plusieurs terminaux (ordinateurs, téléphone, tablette), faites en sorte que la configuration du compte de l’internaute enregistrée sur l’un de ses équipements soit prise en compte sur les autres.

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive. N’oubliez pas que votre site Internet ou votre application est la première façade de votre conformité !

Notre équipe de professionnels est à vos côtés pour vous aider à respecter vos obligations légales. Rendez-vous sur notre site pour plus d’informations : https://www.rgpd-experts.com/

[1] Cet organe européen indépendant a été institué par le RGPD lui-même. Il a pour mission de contribuer à l’application cohérente de la législation européenne en matière de protection des données. Il publie régulièrement des lignes directrices pour aider les responsables de traitement à comprendre et respecter leurs obligations légales.

[2] CEPD, Lignes directrices 03/2022 du 14 février 2023, « Designs trompeurs sur les interfaces des réseaux sociaux : comment les reconnaître et les éviter » : https://edpb.europa.eu/system/files/2023-02/edpb_03-2022_guidelines_on_deceptive_design_patterns_in_social_media_platform_interfaces_v2_en_0.pdf

L.H

Depuis plus de 18 ans, RGPD-Experts accompagne les organismes dans leurs démarches de conformité grâce à son expérience et sa méthodologie éprouvée. Avec ses outils métiers et notamment Register+ sa solution de suivi de management de la conformité RGPD, vous suivrez et démontrerez votre conformité à l’autorité de contrôle. Notre mission : simplifier le développement de vos activités en toute sérénité et accroître votre chiffre d’affaires.