Les précieuses décisions de la CJUE

Les précieuses décisions de la CJUE (Episode 2) L’affaire C-184/20

Une nouvelle question préjudicielle[1] posée à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) permet d’interpréter encore davantage le sens à donner aux dispositions issues du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

Le contexte de l’affaire

Les circonstances de cette décision résonnent différemment, à quelques jours de la Saint-Valentin : il faut croire qu’en politique, comme en amour, tout est une question de confiance !

Au cœur de cette affaire : la transparence due au public par les dirigeants[2].

Une loi lituanienne du 02 juillet 1997 impose la publicité des déclarations d’intérêts et de patrimoine de ses responsables publics, comme cela est le cas dans plusieurs autres États de l’Union Européenne (UE). Ce texte habilite également une autorité indépendante, la « Haute Commission », à veiller au respect de cette exigence de transparence. A ce titre, elle est notamment chargée de poster sur Internet les déclarations d’intérêts privés qui lui sont adressées.

« OT », le directeur d’un établissement public lituanien actif dans le domaine de la protection de l’environnement, n’a vraisemblablement pas eu le cœur à l’ouvrage. Ce dernier a en effet refusé de soumettre sa déclaration, estimant que cette obligation contrevient à ses droits fondamentaux (droit en matière de protection des données personnelles et droit au respect de sa vie privée).

L’affaire a été portée en justice, et les magistrats lituaniens ont questionné la CJUE pour en savoir plus sur la compatibilité et l’articulation entre leur droit national et le RGPD.

Vous ne connaissez pas ces textes par cœur ? Ah bon ? Voici donc un petit rappel utile :

Les questions posées à la CJUE

  • Vous l’aurez compris, se pose en substance la question de savoir si le RGPD permet qu’une loi nationale organise la mise en ligne systématique, par l’autorité de contrôle compétente, de la déclaration d’intérêts privés réalisée par un directeur d’établissement percevant des fonds publics.

Ayez le cœur bien accroché, car il est nécessaire de tenir un raisonnement construit pour parvenir à la réponse !

Tout d’abord, il convient de vérifier si un tel traitement est licite.

Pour cela, il faut que le traitement de données que constitue cette publication ait une base légale, c’est-à-dire d’un fondement juridique justifiant sa mise en œuvre. Ici, la loi lituanienne impose à la Haute commission de poster sur son site Internet les déclarations de patrimoine qu’elle reçoit. Cette publication est donc justifiée par l’obligation légale à laquelle est soumise la Haute commission, conformément à l’article 6(1)(c) du RGPD (cf. supra).

Mais l’existence d’une loi prescrivant le traitement de données ne suffit pas. Encore faut-il que cette loi réponde ensuite à plusieurs critères :

  • Les dispositions législatives en cause doivent poursuivre un objectif légitime d’intérêt public ;
  • Le traitement de données concerné doit répondre effectivement à l’objectif légitime poursuivi ;
  • Le traitement de données concerné doit répondre à l’objectif légitime de manière proportionnée.

La publicité de ces déclarations de patrimoine poursuit-elle un objectif légitime d’intérêt public ?

Pour la CJUE, cela ne fait aucun doute. Selon elle, cette mesure a à cœur de « renforcer les garanties de probité et d’impartialité des décideurs du secteur public, [de] prévenir les conflits d’intérêts » et les pratiques illégales dans le secteur public. D’autant que de nombreux textes imposent précisément aux pays de l’UE de lutter contre la corruption, tant au niveau international qu’au niveau communautaire.

Cette mise en ligne est-elle apte à atteindre l’objectif d’intérêt général de lutte contre la corruption ?

Selon la CJUE, cette publicité est susceptible d’influer sur l’exercice des fonctions des personnes tenues de remplir cette déclaration de patrimoine. Cette mesure joue donc un rôle de prévention des conflits d’intérêts et de corruption. Elle permet à tout à chacun d’en avoir le cœur net sur la probité de ces dirigeants, d’« accroître la responsabilité des acteurs du secteur public et, partant, à renforcer la confiance des citoyens dans l’action publique ».

Le traitement de données (la publication) est-il strictement proportionné au but poursuivi ?

Là se situe le point bloquant de cette mesure pour la CJUE.

Pour être proportionné, un traitement de données ne doit pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour concrétiser l’objectif qu’il poursuit. Autrement dit, le but recherché ne doit pas pouvoir être atteint de manière aussi efficace par d’autres moyens moins attentatoires aux droits fondamentaux des personnes concernées.

Or, justement, la CJUE a ici estimé que cette publicité excessive, en particulier au regard de l’impact de cette mesure sur le droit au respect de la vie privée des déclarants et de celle de leurs proches. La Cour relève que la loi lituanienne contrevient au principe de « minimisation des données » prévu à l’article 5(1)(c) du RGPD, notamment car :

  • Un nombre trop important de professionnels est concerné par la publicité de leur déclaration.

Il y a lieu de pondérer cette obligation en tenant compte de la position hiérarchique, de l’étendue des compétences et des pouvoirs dont dispose le dirigeant en matière d’engagement et de gestion de fonds publics. La CJUE est donc d’avis que les directeurs d’établissements ne soient pas traités comme d’autres catégories de fonctions. Selon elle, un simple contrôle du contenu de leur déclaration par la Haute commission, sans mise en ligne, est suffisant. A condition toutefois que cette autorité dispose des moyens nécessaires pour procéder à ces vérifications…

  • L’ampleur des données réclamées est exagérée, tel que le fait de solliciter la mention de « toute transaction conclue au cours des derniers mois civils dont la valeur excède 3.000 €».
  • Trop d’informations devant figurer sur la déclaration de patrimoine ont vocation à être publiées.

Pour la CJUE, il conviendrait de réduire cette liste. La Cour relève que le même niveau de transparence pourrait être atteint s’il était fait uniquement référence, dans la publication, à l’expression générique de « conjoint, concubin ou partenaire », plutôt que de révéler l’identité de ce(tte) dernier(e).

Pas besoin que tous les décideurs publics se livrent à ce point à cœur ouvert pour les responsabiliser !

Sur ce point, la CJUE apporte une précision importante. En répondant à une deuxième question qui lui est adressée, elle souligne que le fait de dévoiler le nom des conjoints/concubins est susceptible de révéler certains aspects sensibles de la vie privée des déclarants, y compris, par exemple, leur orientation sexuelle. Dans ces conditions, la mise en ligne des déclarations d’intérêts privés s’avère être un traitement portant sur des catégories particulières de données, au sens de l’article 9 du RGPD (cf. supra). En effet, s’il ne comporte pas de données « intrinsèquement sensibles », il comprend des données « dévoilant indirectement, au terme d’une opération intellectuelle de déduction ou de recoupement, des informations de cette nature ». Ce d’autant que la publication de ces renseignements sur le Web les rend accessibles à un nombre potentiellement illimité de personnes. Cette mise en ligne risque d’exposer les proches des déclarants à des démarchages commerciaux répétés, voire à des risques d’agissements criminels par des gens qui ne les porteraient pas dans leur cœur…

 

« OT » a donc eu raison de faire contre mauvaise fortune, bon cœur, pour faire valoir ses droits !

 

Et nous, dans tout cela ?

La France s’est dotée de lois similaires. Sur le même principe qu’en Lituanie, une autorité administrative indépendante est investie de la mission de contrôler l’application des règles en matière de prévention des conflits d’intérêts et de lutte contre la corruption : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique[3].

La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 prévoit cependant expressément que l’adresse personnelle de l’auteur de la déclaration de patrimoine, ainsi que l’identité des membres de sa famille, ne peuvent pas être rendus publics. Cette obligation de déclaration concerne également moins de responsables publics qu’en Lituanie (globalement, les personnes investis d’un mandat électif et les présidents/directeurs généraux des sociétés dans lesquelles plus de la moitié du capital social est détenu par l’État).

MAIS PRUDENCE – La CJUE précise que sa conclusion n’est pas forcément valable pour tous les Etats membres de l’UE. Selon elle, pour apprécier la légalité de ces publications impératives de déclarations d’intérêts, il convient de prendre en compte « l’ensemble des éléments de droit et de fait propres à l’État membre concerné », tels que l’existence d’autres mesures destinées à prévenir les conflits d’intérêts ou l’ampleur du phénomène de corruption au sein du service public, par exemple.

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L.H

[1] Lorsqu’un tribunal d’un pays de l’Union Européenne (UE) s’interroge, lors d’un procès, sur la portée du champ d’’application d’une législation européenne et son articulation avec le droit national, les juges de cet État membre peuvent adresser à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) une question préjudicielle, pour savoir comment interpréter les textes en cause. 

[2] L’arrêt CJUE, n°C-184/20 « OT contre Vyriausioji tarnybinės etikos komisija », 1er août 2022, est disponible dans son intégralité à l’adresse suivante : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=263721&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=345786

[3] Pour en savoir plus sur la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, rendez-vous sur son site : https://www.hatvp.fr/temps-forts-2/

 

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