Portables, ordinateurs, montres connectées : futurs mouchards dans votre domicile

Présenté au Conseil des ministres le 03 mai 2023 et adopté en première lecture par le Sénat le 13 juin 2023, le projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 a pour ambition de renforcer les moyens de ce ministère. Mais au-delà d’augmenter le budget de l’État consacré à la Justice, ce projet de loi comporte plusieurs dispositions destinées à « simplifier et améliorer » la procédure pénale. Parmi les réformes envisagées, celle prévue par l’article 3 de la loi est largement controversée.

Pourquoi l’article 3 de ce projet de loi est-il si décrié ?

Ce texte vise notamment à autoriser les enquêteurs à activer à distance un appareil électronique pour géolocaliser, écouter ou visualiser à son insu son détenteur, via ses données de localisation, sa caméra ou son micro.

En l’état des discussions parlementaires, les éventuels nouveaux articles 230-34-1 et 706-96-2 du Code de procédure pénale seraient ainsi rédigés[1] :

Projet d’article 230-34-1 alinéa 1 : « Lorsque les nécessités de l’enquête ou de l’instruction relative à un crime ou un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement l’exigent, le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction peut autoriser, dans les mêmes conditions que celles mentionnées aux 1° et 2° de l’article 230-33, l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou possesseur aux seules fins de procéder à sa localisation en temps réel. La décision comporte alors tous les éléments permettant d’identifier cet appareil. »

Projet d’article 706-96-2 alinéa 1 : « Le juge des libertés et de la détention, à la requête du procureur de la République, ou le juge d’instruction, après avis du procureur de la République, peut autoriser l’activation à distance d’un appareil électronique à l’insu ou sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur aux seules fins de procéder aux opérations mentionnées à l’article 706-96[2]. La durée d’autorisation mentionnée au premier alinéa de l’article 706-95-16 est alors réduite à quinze jours renouvelables une fois. Celle mentionnée au deuxième alinéa de ce même article est réduite à deux mois, sans que la durée totale d’autorisation des opérations ne puisse excéder six mois. »

Certes, des obligations différentes incombent aux autorités compétentes lorsqu’elles mettent en œuvre des traitements de données à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d’enquêtes et de poursuites.

Effectivement, les autorités publiques doivent se soumettre non pas aux exigences issues du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), qui a une vocation plus universelle, mais à celles édictées par la Directive n°2016/680 du 27 avril 2016 dite Directive « Police-Justice », qui instaurent plusieurs dérogations à la législation générale pour les traitements de données intervenant en matière pénale[3].

Les conséquences et possibles dérives de cette technique d’enquête

Si le projet de loi cantonne pour l’heure ces mesures à certaines enquêtes (celles relatives à des crimes ou délits punis d’au moins 5 ans d’emprisonnement ou des infractions relevant du terrorisme et de la criminalité organisée) et les conditionne à l’obtention d’autorisations préalables de différents magistrats, ces dispositifs n’en restent pas moins considérablement attentatoires aux droits et libertés individuelles.

Les données personnelles de tout à chacun pourraient ainsi être collectées et analysées sans que les personnes concernées n’en aient même conscience.

 

Ces techniques sont des plus intrusives. Elles permettent aux services de police de s’immiscer dans l’intimité même des individus visés, par l’intermédiaire d’équipements que nous utilisons quotidiennement dans des lieux privés (smartphones, ordinateurs, montres ou voitures connectées, etc.). Cette surveillance des moindres faits et gestes des personnes ciblées induit le recueil de données particulièrement sensibles les concernant, et potentiellement sans rapport avec les faits qu’elles seraient soupçonnées d’avoir commis (pratiques sexuelles ou religieuses, convictions politiques, etc.).

 

 

L’adoption de cette mesure est inquiétante à bien des égards.

De nombreux avocats ont d’ores et déjà dénoncé ce projet de réforme. Le 08 juin 2023, le Conseil national des barreaux a adopté une résolution, aux termes de laquelle il demande le retrait de cette hypothétique nouvelle technique d’enquête[4]. Il estime qu’elle constitue une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et au secret professionnel, non justifiée par la « nécessité » affichée par les forces de l’ordre de pouvoir recourir à ces méthodes.

Le Conseil national des barreaux s’étonne par ailleurs que la CNIL[5] n’ait pas été saisie de cette réécriture du Code de procédure pénale actuellement débattue. Il apparaît indispensable que l’autorité administrative émette un avis sur la potentielle instauration d’une telle activation à distance d’appareils électroniques placés entre les mains de particuliers, ou à défaut qu’elle indique sa position sur les éventuelles modalités de mise en œuvre de ce dispositif.

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L’équipe de RGPD-Experts ne manquera pas de vous tenir informés des suites données à ces débats parlementaires, qui attirent toute son attention.

Comme tous les autres responsables de traitement, l’administration reste en effet tenue de respecter ses obligations légales en matière de protection des données, dans l’intérêt de tous.

L.H

 

[1] « Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 », Texte n° 569 (2022-2023) de M. Éric DUPOND-MORETTI, garde des sceaux, déposé au Sénat le 3 mai 2023 : https://www.senat.fr/leg/pjl22-569.html

[2] L’article 706-96 du Code de procédure pénale est actuellement formulé en ces termes : « Il peut être recouru à la mise en place d’un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé. »

[3] Pour en savoir plus sur la Directive « Police-Justice », nous vous invitons à consulter l’onglet dédié à ce sujet sur le site de la CNIL, accessible sur l’adresse suivante : https://www.cnil.fr/fr/directive-police-justice-de-quoi-parle-t

[4] « Résolution du Conseil national des barreaux contre l’article 3 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice concernant l’activation à distance des objets connectés »,  08 juin 2023 : https://encyclopedie.avocat.fr/GEIDEFile/CNB-RE_LDH_Article-3-projet-loi-orientation-programmation-ministere-Justice_[P].pdf?Archive=131574695975&verif=480312480315473152476325480304450536478530470024488829470114

[5] La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) est l’autorité administrative indépendante française compétente en matière de protection des données personnelles.

 

 

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