Données personnelles et IA

La protection des données personnelles face à l’évolution de l’Intelligence Artificielle

– ENTRE MYTHES ET RÉALITÉS –

 

Le 5 avril 2022, la CNIL[1] rappelait avoir mis à disposition sur son site Internet un ensemble de documents explicatifs consacrés à l’Intelligence Artificielle (IA). Outre ses pouvoirs de contrôle, l’autorité régulatrice a pour mission d’informer le grand public sur divers sujets liés à la protection des données personnelles, ainsi que d’accompagner les professionnels dans leur conformité. Dans ce contexte, la Commission a jugé utile de vulgariser les connaissances des citoyens sur cette innovation nébuleuse qu’est l’Intelligence Artificielle.

La CNIL n’a évidemment pas sorti cette thématique de son chapeau par hasard.

Selon un sondage IFOP de 2017, 83% des Français auraient déjà entendu parler des algorithmes[2]. Toutefois, la moitié des personnes interrogées reconnaissait ne pas comprendre précisément en quoi consistent ces programmes. Pire, 64% d’entre elles s’avouaient inquiètes du développement de ces technologies.

D’après un sondage de l’IFOP sollicité par la CNIL pour l’établissement d’un rapport dans le cadre d’un débat public mené sur les algorithmes [3] et l’Intelligence Artificielle en 2017.

Si l’expression “Intelligence Artificielle” est fréquemment associée à un monde moderne et futuriste, elle ne relève pourtant pas du fictif. Comment cet univers surnaturel est-il devenu, justement, si naturel ?

L’intelligence Artificielle : supercherie ou véritable utilité ?

A ce jour, aucune définition officielle n’a été adoptée pour déterminer ce qu’englobe le terme d’ « Intelligence Artificielle ». Il est généralement entendu comme un domaine de la science tendant à permettre à des appareils électroniques de faire ce dont l’homme est capable moyennant une certaine intelligence.

Comme par enchantement (ou presque), votre ordinateur se voit ainsi en mesure de vous battre aux échecs, ou votre voiture autonome apte à vous conduire seule à bon port. Le Parlement Européen définit l’IA comme tout outil utilisé par une machine afin de « reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité »[4]. Ne vous bercez pas d’illusions, ces systèmes sont déjà omniprésents dans notre environnement.

Exemple 1 : Les agents conversationnels ou « ChatBots »

De nombreux organismes ont recours à des “ChatBots” dans le cadre de leurs relations avec les clients, notamment pour la gestion des réclamations ou la fourniture d’une assistance en ligne. Nous parlons bien de la « personne » avec qui vous conversez lorsque vous rencontrez un problème sur le site de votre banque, dans vos démarches dématérialisées, ou encore lorsque vous interrogez Siri, Google Assistant ou Alexa sur la météo de demain.

Ces robots conversationnels sont capables de comprendre la question qui leur est adressée en fonction de son contexte et d’y répondre de manière standardisée. Ils constituent des formes d’Intelligence Artificielle.

 

Capture d’écran d’un ChatBot sur le site de la Caisse d’Allocations Familiales

♦ Exemple 2 : Les dispositifs utilisant des techniques de partitionnement (ou clustering)

Ces techniques d’IA sont notamment utilisées à des fins de profilage en ligne. Elles permettent de vous proposer des contenus adaptés à vos préférences.

Exemples : suggestions de recherche sur le web, prédiction de mots sur vos claviers de portable, recommandations sur les réseaux sociaux ou les plateformes de streaming (musiques conseillées sur Deezer ou Spotify, liste de vidéos suggérées sur Netflix, etc.).

♦ Exemple 2 : Exemple 3 : Les outils d’aide à la décision

Le marché regorge désormais d’applications destinées à aider les entreprises à améliorer et accélérer leurs procédures, que ce soit en interne (aide au recrutement, prédiction du « turn over » des salariés…) ou en externe (algorithme de calcul pour l’attribution ou non d’un prêt bancaire, des risques assurantiels…).

Comment ça marche ? Trucs et astuces sur l’Intelligence Artificielle.

Afin de réaliser la tâche qui lui a été attribuée, la machine se voit d’un procédé automatisé reposant sur des algorithmes. Cette technique lui permet comme par magie, ou plutôt par l’application de règles mathématiques préalablement définies (des “modèles d’IA”), de générer une déduction ou une prédiction.

Grâce à ces modèles d’IA, l’appareil peut généralement étendre lui-même son champ de connaissances au fur et à mesure qu’il élargit sa base de données, par une méthode dite “d’apprentissage automatique“. Autrement dit, l’IA améliore sans cesse sa capacité à mimétiser les comportements humains à partir des informations qu’elle recueille progressivement. Ce tour de passe-passe repose donc sur la collecte et le traitement massifs de données potentiellement personnelles.

L’Intelligence Artificielle : un monde féérique ?

Si l’Intelligente Artificielle présente des avantages indéniables pour ses utilisateurs (gain de temps, d’énergie voire de fiabilité), sa mise en œuvre n’est toutefois pas sans risques. Ces algorithmes sont susceptibles de faire de nombreuses erreurs, qui peuvent être liées :

  • A la conception de leur système : les « biais discriminatoires »

◊ Les données sur lesquelles l’IA a été entraînée peuvent ainsi ne pas être suffisamment représentatives.

Exemple : un échantillon de population insuffisamment large utilisé pour calibrer certains dispositifs de reconnaissance faciale peut induire des difficultés à identifier des individus de certaines origines ethniques.

◊ De mauvais critères de sélection des données peuvent aussi avoir été retenus lors du codage de l’apprentissage automatique de l’IA.

Exemple : inclure le sexe d’un candidat à l’embauche comme un critère de sélection, et non ses seules qualifications et compétences, est susceptible d’aboutir à une décision discriminante [5].

◊ La prédiction émise par l’appareil peut également reposer sur des hypothèses trop approximatives. Tel est notamment le cas lorsque le programme opère une confusion entre “corrélation” et “causalité”.

Exemple : la machine constatant que, statistiquement, les individus décèdent très fréquemment dans leur lit pourrait en déduire à tort qu’il serait dangereux de dormir, plutôt que d’estimer qu’il lui manque une information supplémentaire à son analyse, à savoir l’état de faiblesse du défunt avant sa mort.

Les défauts de la machine ne sont donc pas directement générés par elle, mais résultent essentiellement de l’intervention humaine nécessaire à sa configuration. Ils sont en effet :

Les défauts de la machine ne sont donc pas directement générés par elle, mais résultent essentiellement de l’intervention humaine nécessaire à sa configuration. Ils sont en effet :

  • Soit les conséquences d’erreurs humaines dans l’écriture des programmes.

En effet, la logique de raisonnement assignée à l’appareil a été pensée par l’homme, avec toutes les déviances et la subjectivité que cela implique.

  • Soit le reflet de problèmes sociétaux actuels.

L’IA se fondant sur des statistiques issues de données réelles, elle a ainsi malheureusement tendance à reproduire voire à amplifier les inégalités de fait et discriminations existantes.

  • A leurs conditions d’utilisation

La mauvaise qualité des données (telle qu’une photo prise dans un lieu sombre pour une reconnaissance faciale) ou des défauts liés au matériel utilisé sont de nature à fausser les résultats de l’algorithme.

  • A leurs infrastructures ou à des défaillances informatiques « ordinaires » (piratage, endommagement des équipements terminaux, erreur humaine…)

Les bonnes pratiques en matière d’IA pour éviter que les dés ne soient pipés. 

Les réflexes à adopter pour les utilisateurs 

Nous vous conseillons d’abord de vérifier systématiquement si vous interagissez avec un robot ou une personne réelle. En cas de doute, n’hésitez pas à questionner votre interlocuteur ou le service compétent.

Nous vous recommandons de limiter au maximum la transmission de vos données personnelles si cela n’est pas nécessaire (formulation de question générique, claire et simple dans un chatbot ; utilisation du mode « navigation privée » sur Internet pour limiter votre profilage selon votre historique, etc.). Gardez à l’esprit que la proposition ou suggestion émanant de la machine peut être erronée.

 

Afin de ne pas vous faire mener à la baguette, vous pouvez enfin exercer les droits qui vous sont reconnus pour conserver la maitrise de vos données personnelles, tel que votre droit d’information sur les caractéristiques principales de ces traitements de données.

L’article 22 du RGPD précise notamment que toute personne a le droit « de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé […] produisant des effets juridiques la concernant ou l’affectant de manière significative de façon similaire ».

Dans ce contexte, vous pouvez demander à connaître la logique sous-jacente à ces prises de décisions automatisées. Vous êtes aussi en droit d’exiger l’intervention d’une personne humaine dans le processus décisionnel, d’exprimer votre point de vue sur la décision ou de la contester.

Les réflexes à adopter pour les professionnels

Conformément au principe de minimisation des données et de protection des données dès la conception, nous vous invitons à concevoir vos algorithmes de manière à restreindre autant que possible la collecte d’informations personnelles des individus concernés[6].

Les responsables de traitement doivent également faire preuve de transparence à l’égard des personnes ciblées par ces systèmes d’IA. En ce sens, il y a lieu d’indiquer si elles correspondent avec un robot, d’expliquer la méthode de raisonnement globale appliquée par l’algorithme, et de motiver chacune des réponses ou décisions éventuellement prises grâce à ces dispositifs. Les professionnels sont aussi tenus de faire superviser l’utilisation de ces technologies par un humain.

L’Europe n’entend pas donner carte blanche à l’Intelligence Artificielle.

 » La Commission Européenne a adopté le 23 février dernier une proposition de règlement sur l’harmonisation des règles d’accès et d’utilisation équitable des données, plus connu sous le nom de “Data Act”. Ces dispositions visent notamment à créer un marché unique des données et à réguler les pratiques des plateformes numériques. »

De nombreux autres textes sont en cours de rédaction à l’échelle européenne afin d’encadrer davantage l’utilisation de l’Intelligence Artificielle, tels que :

  • Le Règlement ePrivacy, qui fixera les règles applicables en matière d’IA dans les services de communication électronique, et notamment sur les réseaux sociaux ;
  • Le Règlement sur l’Intelligence Artificielle proposé par la Commission Européenne en avril 2021, qui vise à trouver un juste équilibre entre le développement de ces technologies innovantes et la protection des données personnelles des citoyens européens.

Les lignes conductrices de ces législations en débat ont été publiées par les institutions compétentes. Nous vous invitons à vous inspirer dès maintenant des principes essentiels formulés par ces textes dans votre organisme, afin que votre mise en conformité s’effectue en un tour de main lorsqu’ils entreront en vigueur.

L.H


[1] La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) est l’autorité administrative indépendante française compétente en matière de protection des données personnelles.

[2] D’après un sondage de l’IFOP sollicité par la CNIL pour l’établissement d’un rapport dans le cadre d’un débat public mené sur les algorithmes et l’Intelligence Artificielle en 2017 : https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/cnil_rapport_garder_la_main_web.pdf

[3] Source : Intelligence artificielle : définition et utilisation | Actualité | Parlement européen (europa.eu)

[4] Source : Intelligence artificielle : définition et utilisation | Actualité | Parlement européen (europa.eu)

[5] En effet, si l’entreprise n’a recruté que des hommes au cours des dernières années, l’algorithme est susceptible de conclure que la condition d’être de sexe masculin répond aux attentes de l’organisme.

[6] Le respect de ces impératifs se révèle d’autant plus important concernant le recueil de catégories de données sensibles ou susceptibles de conduire à des discriminations.

 

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