EHDS

– Espace Européen des Données de Santé –

Tout savoir sur la nouvelle politique de santé numérique de l’Union

 

L’envolée des législations européennes relatives à la « protection » des données personnelles se poursuit.

Dans le prolongement des accords provisoires pour l’encadrement des services et des marchés numériques, la Commission Européenne a publié le 03 mai 2022 sa proposition de règlement pour un Espace Européen des Données de Santé, plus connu sous le nom de “European Health Data Space” (EHDS).

En quoi consiste ce nouveau projet ? RGPD-Experts vous explique les enjeux de ce texte. 

De quoi parlons-nous ?

Soulignant l’importance des services numériques dans la gestion de la pandémie de Covid-19, les États membres de l’Union Européenne (UE) se sont emparés de ce contexte pourtant exceptionnel pour insister sur la nécessité d’harmoniser leurs règles nationales sur l’accès et l’utilisation des données de santé.

L’Espace Européen des Données de Santé vise globalement à instaurer un marché unique de données de santé à l’échelle européenne.

Les finalités affichées de cette réforme sont doubles :

 

Faciliter l’utilisation primaire des données de santé des citoyens européens :

La proposition de règlement prévoit que les documents médicaux devront être émis sous une forme standardisée, afin de permettre leur partage dans et entre tous les États membres.

Selon la Commission, l’EHDS constitue en ce sens un avantage à la fois pour les patients et les professionnels de santé, en leur garantissant un accès et une maitrise de ces informations sensibles par-delà les frontières. D’après l’institution, cette interopérabilité sera gage d’une meilleure continuité des soins et d’une prise en charge optimale des malades.

Elle vise notamment à renverser les barrières linguistiques susceptibles d’entraver l’accès aux soins des patients ou la compréhension de leur dossier médical par les professionnels de santé. Chacun d’eux pourra désormais consulter les documents médicaux dans sa langue maternelle.

Exemple : un individu pourra ainsi aisément faire renouveler en Italie son ordonnance de médicaments délivrée en France, et se procurer son traitement en Allemagne.

Les données de santé des citoyens seront consignées au sein d’un programme que les États membres sont tenus d’intégrer d’ici 2025, intitulé « MyHealth@EU ».

Si la France a déjà partiellement déployé cette solution via le service « Sesali.fr »[1], d’autres États sont encore loin de cette révolution digitale. En effet, près d’un tiers des pays de l’UE recourent encore majoritairement à des dossiers médicaux et à des prescriptions papiers[2]

Faciliter l’utilisation secondaire des données de santé des citoyens européens :

La proposition de règlement établit également un cadre commun pour l’usage des données de santé à des fins de recherche, d’innovation, de statistiques ou d’élaboration de politiques de santé publique.

L’idée est simple : faire bénéficier les chercheurs, les entreprises du secteur de la santé et les décideurs d’une quantité importante de données pour augmenter la fiabilité de leurs projets respectifs.

L’ensemble de ces informations – censées avoir été préalablement anonymisées – seront rassemblées au sein d’une nouvelle infrastructure transfrontière développée à cet effet par l’Union Européenne, dénommée « HealthData@EU ».

Afin de contrôler l’exploitation de ces données mutualisées, chaque Etat membre devra mettre en place un organisme chargé de délivrer les autorisations d’accès aux entités et particuliers en faisant la demande.

La France s’est montrée particulière proactive face à cette réforme, puisqu’elle a créé une telle instance dès 2019. Ce Groupement d’Intérêt Public, composé de 56 parties prenantes relevant du domaine de la santé[3], porte le nom de « Health Data Hub » ou « Plateforme des données de santé »[4].

 

Les objectifs de l’Espace Européen des Données de Santé selon la Commission Européenne
Source : https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/fs_22_2713

Et en réalité ?

Si l’Union Européenne se targue d’instaurer ces nouveaux dispositifs en vue d’améliorer les diagnostics médicaux et les systèmes de santé, les enjeux de ce texte s’avèrent aussi et surtout économiques.

L’Espace Européen des Données de Santé entend inciter à l’innovation, en permettant aux entreprises du secteur de la santé de disposer d’un large échantillon de données de santé. Il a ainsi pour objectif de soutenir la croissance, en leur ouvrant de nouveaux marchés dans d’autres États membres.

La Commission ne cache également pas sa volonté de réduire le coût de ses politiques de santé publique.

Selon elle, l’EHDS devrait faire économiser à l’UE près de 11 milliards d’euros, tant grâce à l’optimisation attendue des activités des prestataires de soins (l’échange de données de santé entre professionnels devant éviter la répétition des examens médicaux et renforcer la fiabilité des diagnostics/traitements) que grâce à la documentation accrue des régulateurs (qui, disposant de données davantage probantes, sont supposés être plus à même d’ajuster leur gestion du système de santé et de stopper les dépenses inutiles).

Cet argument est paradoxal lorsque l’on sait que les États membres ont prévu d’investir 12 milliards d’euros dans la santé numérique… L’UE ne poursuivrait-elle pas des rêves chimériques ?

 

Des mesures si compréhensibles ?

Des questions perdurent quant aux modalités concrètes de mise en œuvre de l’Espace Européen des Données de Santé.

Les dispositions du règlement proposé par la Commission ne prévoient pas leur articulation avec les règles nationales des États membres en la matière, voire entrent ouvertement en contradiction avec elles.

Nous nous interrogeons sur la combinaison entre l’infrastructure européenne sur le partage de données de santé « MyHealth@EU », et le récent Dossier Médical Partagé instauré par le gouvernement français[5].

Par ailleurs, il n’est dit aucun mot sur les caractéristiques du format européen commun dans lequel devront être édictés les documents de santé afin d’être interopérables.

Enfin, les promesses de sécurité concernant l’exploitation des données de santé des citoyens européens sont particulièrement floues. Les formulations vagues employées par la Commission ne permettent pas de déterminer comment cette protection sera concrètement assurée…

Il est ainsi indiqué que ces données sensibles ne seront accessibles à des fins de recherche et d’innovation que pour des « finalités particulières » et non pour prendre des décisions préjudiciables aux citoyens, sous réserve d’être manipulées dans « des environnements fermés et sécurisés » et à condition que les identités des individus visés ne soient pas révélées.

Ces termes ne sont évidemment pas définis, de sorte qu’il est impossible de savoir comment l’anonymat des personnes concernées sera réalisé, ou à quels critères devront répondre les organismes souhaitant accéder à ces données pour justifier qu’ils disposent d’un environnement suffisamment “fermé et sécurisé“.

En d’autres termes, l’Espace Européen des Données de Santé pourrait compromettre la conformité des différents acteurs de cette santé numérique, qui restent tenus de respecter les exigences leur incombant aux termes du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) [6].

Les organismes pourront-ils en pratique respecter et le RGPD, et la législation sur l’Espace Européen des Données de Santé ? Seul l’avenir nous le dira…

Avant d’entrer en vigueur, le projet de règlement de la Commission Européenne devra d’abord être examiné par le Conseil et le Parlement Européen.

S’il est adopté, ce texte modifiera légèrement l’organisation des institutions européennes, puisqu’il prévoit une nouvelle gouvernance spécifique à la santé numérique.  La création d’un « Comité de l’Espace Européen des Données de Santé » est envisagé. Composé des représentants des nouvelles autorités chargées de délivrer les autorisations d’accès aux bases de données de santé des Etats membres, de la Commission Européenne et d’observateurs divers, ce comité a pour ambition de veiller à une application cohérente des règles en matière de santé numérique sur le territoire de l’UE.

Un rôle non négligeable compte tenu des risques que cette réforme soit comprise différemment par tous, faisant des citoyens européens les grands perdants de ce probable quiproquo…

L.H

[1] Bien que déjà accessible, ce nouveau service de santé proposé par l’Agence du Numérique en Santé (ANS) n’est à ce jour pas encore finalisé. Seuls les citoyens de certains pays membres de l’UE y sont pour l’instant éligibles (Croatie, Malte, Portugal…).

[2] Source : « Questions et réponses – Santé dans l’UE : l’espace européen des données de santé », 03 mai 2022, eu.europa.eu (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/qanda_22_2712)

[3] Dont la caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), la fédération française de l’assurance (FFA), l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), l’institut national de la recherche en informatique et en automatique (INRIA), le centre national de la recherche scientifique (CNRS), la fédération hospitalière de France (FHF), l’assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP), etc.

Les modalités de fonctionnement de la plateforme sont régies par les articles L1462-1 et R1462 et suivants du Code de la santé publique.

[4] La Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), qui est l’autorité administrative indépendante française compétente en matière de protection des données personnelles, a toutefois émis de nombreuses réserves concernant les modalités de mise en œuvre de cette « Plateforme des Données de Santé » et sur les risques qu’elle présente en l’état actuel pour les libertés individuelles.

[5] Pour plus d’informations concernant les enjeux de ce « Dossier Médical Partagé » en matière de protection des données personnelles, nous vous invitons à consulter notre précédent article sur le sujet : https://www.rgpd-experts.com/donnees-medicales/

[6] En effet, les mesures prévues au sein de la proposition de règlement de la Commission ne dérogent pas au RGPD.

 

 

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